Urbanité
2021

Présentation

 

Urbanité a commencé à être imaginé après le printemps 2020 et le premier confinement. Les questions de l’appropriation par les habitants d’un territoire sont venues se superposer avec celles des lieux de fractures urbaines le long d’un axe. Pour explorer ces questions, nous avons mis en place un projet transversal en associant un architecte-urbaniste chercheur à l’École Urbaine de Lyon à deux photographes. L’objectif étant de for­mer un travail interdisciplinaire qui croise les outils, les méthodes et les productions de chacun. Le terrain de cette enquête photographique entre Rhône et périphérique se déroule de Lyon à Villeurbanne, du cours Franklin Roosevelt au cours Émile Zola en passant par Vitton.

Plusieurs traversées collectives puis individuelles ont permis de définir des choix de recherches et d’établir une grille d’entretien. Les images de la ville et les portraits réalisés par les photographes sont venus compléter le travail du chercheur. Urbanité est exposé entre le 30 juin et le 15 septembre 2021 dans les stations Cusset, Gratte-Ciel et Foch de la ligne A du métro lyonnais.

 

Intervenants

Antoine Boureau et Tim Douet photographe avec la participation de Jérémy Cheval, architecte-urbaniste Ph. D, École Urbaine de Lyon.

Partenaires

Partenaires financiers : L’École Urbaine de Lyon et la ville de Villeurbanne. Ce travail a bénéficié de l’aide de l’État gérée par l’Agence Nationale de la Recherche au titre du programme d’Investissements d’avenir portant la référence ANR-17-CONV-0004. Partenaire opérationnel : Le Sytral qui a accueilli l’exposition

Temporalité

Mise en œuvre mars à juin 2021 et exposition du 30 juin au 15 septembre 2021.

 

Production

Bien que les cours Franklin-Roosevelt, Vitton et Émile-Zola constituent un repère ou un lieu de circulation, ils n’existent que par leurs relations avec les autres espaces qui les entourent. D’un point de vue physique et social, nous avons distingué trois séquences qui présentent différentes relations à l’urbain. Celle de l’ancien plan Morand, à Lyon, avec une urbanité souvent qualifiée de « centre », qui s’efface progressivement après le pont des voies de chemin de fer jusqu’à Charpennes (Zone III).

Celle de Villeurbanne « centre » est également caractérisée par ses constructions ouvrières, ses immeubles modernes et son quartier fort de Gratte-Ciel (Zone II). Celle, pour finir, qui s’étire à l’Est, en direction du périphérique, qui peut être définie par ses espaces verts et ses espaces disponibles derrière la façade de la route (Zone I).

Carte Urbanité
Zone I - Et la pression foncière

Face à la pression foncière, forte aux yeux de tous, tout au long de l’axe, cette première séquence est celle des « possibles » cachés derrière un front urbain, bien souvent entendue comme un espace en cours de développement. L’évolution urbaine peut-elle apprendre de ces espaces libres, ouverts, flexibles, qui induisent une dé-densification et une libération des sols ?

Zone I - Et les échanges

Plus on s’éloigne de Cusset, moins on assiste à des échanges entre le privé et le public. Non pas d’un point de vue social, mais d’un point de vue spatial. Des arbres et des plantes dépassent des jardins ou des cours. Ici, on retrouve quelques paillassons, une chaise ou deux devant un porche, des fleurs sur un balcon. Là, on voit un intérieur ou un jardin privé. Ces débordements depuis les espaces privés augmentent l’expérience de l’espace public. Ils changent l’axe, participent au décor et à l’imaginaire de la rue, qu’ils apparaissent comme une mise en valeur ou une dégradation.

Zone I - Exemple d'une concierge

Les concierges, les surveillants et les habitants jouent un rôle fondamental dans ces espaces. On le remarque par exemple dans les jardins de la co-propriété des logements de la résidence Pierre-Cacard, un ensemble bâti dans les années 1930 pour les populations ouvrières de Villeurbanne. Bérengère, la gardienne est au centre du jeu. Elle entretient les espaces collectifs tel le jardin et suscite des échanges, entre habitants mais aussi avec les passants, en ajoutant des chaises. Dans l’espace vert qu’on aperçoit depuis la rue, on peut y voir des familles discuter, des enfants en chaussons chercher une planche pour jouer, des personnes qui étendent leur linge, des fêtes d’anniversaires…

Zone II - Diversité dans l'espace public

L’espace public est ici comme ailleurs un lieu où l’on se projette dans les usages des autres. « J’aimerais avoir une passion pour les échecs et affronter des inconnus sur les échiquiers du parc des Droits de l’Homme [à Villeurbanne] mais je n’y connais rien ! », regrette, par exemple un jeune papa. On raconte des histoires sur celles et ceux qu’on ne côtoie pas forcément mais qu’on peut essayer de comprendre et d’imaginer. « Sur la place devant mon immeuble, il y a les livreurs Uber qui se retrouvent tous les jours. Il y a des danseurs. Mes voisins vendent des habits sur le palier. Le samedi, toutes les familles juives se retrouvent dans le petit parc. Il y a aussi des familles de maghrébins, des nounous, des jeunes et nous », énumère une jeune du quartier République.

Zone II - Récolter du houblon sauvage

Comment définir les espaces partagés ? Semi-publics ou semi-privés, ces lieux de co-propriétés sont parfois de simples renfoncements dans le trottoir sur une parcelle privée. Les séparations entre le privé et le public ne se résument pas à une frontière figée, à une définition légale du sol, du sous-sol ou du volume vide. Les humains interrogent sans cesse ces définitions, par les occupations, les passages et les usages. Les territoires évoluent dans l’espace avec le temps, les quotidiens et les autres. Aujourd’hui cette notion est aussi interrogée par les non-humains : les végétaux, les animaux, voire même les objets qui, à leur manière, territorialisent aussi l’espace. Colette, habitante de Charpennes, s’intéresse aux plantes présentes dans son quartier. Elle les connaît si bien qu’elle sait même où récolter du houblon sauvage qui pousse tout seul entre deux murs près de la station Charpennes.

Zone III - Du faible usage des balcons

Le privé déborde en général peu sur l’espace public dans les zones urbaines denses comme on peut le noter dans cette zone. Les façades ne trahissent que discrètement des intérieurs modifiés et divers. Seuls quelques câbles internet glissent sur elles. Les évacuations d’eau, les conduits de gaz, les ouvertures supplémentaires, les bacs de fleurs, les quelques balcons décorés témoignent à leur manière de l’agencement intérieur. Les fenêtres, principalement des points de vue vers l’extérieur, sont rarement considérées comme des lieux d’échanges, à part à des moments particuliers, comme pendant le confinement, les matchs de foot ou autre. Très peu de balcons relient nos usages à ceux de la rue. « On reste chez nous » : à l’angle nord de la place Lyautey, seuls quelques retraités mangent sur leurs balcons quand il fait beau. Malgré leur présence, tous ces éléments existent assez peu aux yeux des passants. L’attention de ceux-ci est absorbée par les autres espaces privés qui leur sont ouverts : les commerces, les restaurants, les bars…

Zone III - La traversée

L’usage des espaces publics est primordial le long d’un axe, ne serait-ce que pour le traverser. Et ce mouvement – traverser – est si important qu’il devient bien souvent prédominant, notamment pour les automobilistes. Cependant, l’axe est aussi constitué de trottoirs, de pistes cyclables, de places, de jardins, de parcs, de cours, de parkings, de terrasses… Les usages s’y superposent dans le temps et dans l’espace. Comme nous le précise un jeune travailleur, « la place du Maréchal-Lyautey est une scène de théâtre avec des acteurs qui rentrent et qui sortent au gré de la météo et des heures qui passent ». En d’autres termes, l’espace public est le témoin de l’évolution des interactions sociales, comme l’a décrit le sociologue Erving Goffman, et des « prises de places », selon l’expression du géographe Michel Lussault.

Pour finir - Des fleurs et des bancs

Certaines individualités auraient envie d’agir sur l’espace public, de planter une glycine devant une porte, de laisser une chaise sur la place, de peindre un bout de trottoir ou de rue, voire même de nettoyer une sculpture ou de réparer un bout de banc. D’autres se plaignent d’un manque d’espaces où s’assoir, d’une propreté qui laisse à désirer ou de jeux pour enfants. Mais au final ils sont là même si parfois le trottoir est étroit. Bon nombre d’habitants, comme ces retraités que nous avons interviewés, arpentent tous les jours les rues autour de chez eux, l’axe constituant pour eux un point de repère qu’ils traversent, autant que les commerces, les ombres, les lumières et les amis qu’ils retrouvent. Les bancs sont pour eux des pauses dans leur parcours car ils ne peuvent pas marcher longtemps sans s’arrêter.

Pour finir - Qui est le plus légitime ?

Dans l’espace public, on se demande souvent qui est le plus légitime : l’habitant, le passant, le squatteur, le cycliste, le piéton, le bouliste, le danseur de hip-hop, le graffeur, le mendiant, le jardinier ? Mais on interroge peu comment chacun doit et peut y trouver sa place. Les personnalités en présence sont d’autant plus fortes qu’elles reviennent fréquemment et qu’elles sont identifiées. Mais elles changent avec l’évolution des mœurs et des modes, comme dans les cours d’école.